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Lettre aux hommes que j'aime (et qui me le rendent bien) de Marie Gloris Bardiaux-Vaïente

Le texte qui suit a été initialement publié par Marie Gloris Bardiaux-Vaïente sur internet en décembre 2016.
http://mgbvfeminisme.tumblr.com

Il a été mis en page puis légèrement enrichi par plusieurs personnes du collectif Indice, avant validation par l’autrice qui en accepte la libre diffusion, et reproduction.

Illustrations diffusées avec accord des autrices et auteurs. La couverture est de l’autrice, l’extrait de bande-dessinée page 5 est de Yatuu (yatuu.fr) et la planche en page 6 est de Marc Dubuisson (publié sur http://absurdo.lapin.org).

Indice, mai 2017.

Cette lettre je l’adresse à tous les hommes qui sont dans ma vie, à un degré ou un autre.

Vous me faites du mal.

Pas souvent, mais parfois.

Et je vais vous expliquer pourquoi.

Vous me faites du mal parce que vous n’êtes pas des femmes et que chacun d’entre vous, au moins une fois, vous vous êtes permis de me dire comment je devrais être en tant que femme ou en tant que féministe. Et si ce ne fut pas le cas, vous avez devant moi critiqué des femmes pour des choses insensées.

« Pourquoi tu ne t’épiles pas ? » ; « Regarde-la avec sa mini-jupe... »

Vous êtes sexistes.

Je le dis d’autant plus facilement puisque je considère que je le suis moi-même, sexiste.

Nous vivons dans un système patriarcal infusant de l’inégalité à tous les niveaux depuis notre naissance : nous avons des réflexes sexistes quotidiens. À tel point qu’il paraît normal de voir une femme au foyer pendant que l’homme travaille, alors que l’inverse est considéré comme un cas particulier.

Vous critiquez le physique des femmes : et oui c’est problématique parce que notre société semble n’attendre de celles-ci qu’une chose : qu’elles soient sexy et désirables aux yeux des hommes. Vous entretenez ce processus.

Comme vous m’aimez, vous « acceptez » (or cela ne vous concerne pas et je n’ai pas à avoir votre aval) que je sois féministe, à partir du moment où je ne deviens pas « radicale ». Ce dernier terme ayant un curseur bien différent selon qui vous êtes. Mais j’ai bien compris : ce qui vous pose problème, c’est le moment où je commence à déranger votre confort personnel d’hommes.

Vous me faites du mal parce que pour certains d’entre vous, vous cherchez « la petite bête », le moment où dans le flot quotidien de ce que j’exprime sur le féminisme, je déraperai sur un mot, un chiffre, etc. et j’ai beau être très vigilante, je ne suis pas exempte du fait que cela puisse m’arriver. Or là, BIM, c’est comme si l’ensemble de mes propos était remis en question.

Vous me faites du mal parce que vous vous permettez de me dire « il faut », « tu dois », quand je ne vous ai rien demandé. Vous êtes paternalistes. Je vous demande souvent conseil, mais quand ce n’est pas le cas, considérez que cela ne vous concerne pas.

Vous me faites du mal parce que vous discutez de mon féminisme, du féminisme de la voisine, de la féminité, alors que de fait, vous n’êtes pas experts de ces questions. Mais vous voulez vous imposer. Parce qu’on vous a appris à faire ainsi. Mais là encore, ça ne va pas et c’est épuisant. Imaginez si des femmes débattaient de l’interdiction d’éjaculer hors rapport procréatif, et qu’elles avaient le pouvoir de le légiférer. Vous ne trouveriez pas ça normal. Et vous auriez raison. Et bien moi, c’est pareil.

Vous me faites du mal parce que vous faites des blagues salaces sur les femmes et que cela me met très mal à l’aise. Et quand je vous le dis, vous continuez, comme une sorte de provocation-connivence, entre potes.

Et bien non, ça ne me fait pas rire.

On appelle ça de l’humour oppressif.

BD de Yatuu

Vous me faites du mal parce que vous vous enflammez et vous vous fâchez lorsque je vous dis : « Là tu as fait une remarque sexiste ». Au lieu de l’entendre, d’en prendre connaissance, d’essayer de comprendre pour éviter de le reproduire, non, vous préférez vous disputer avec moi, et nier le fait. Est-ce que vous réagissez pareil quand on vous signale une faute d’orthographe ? Mais je ne vous en veux pas. Puisque cela m’arrive aussi, cela nous arrive à tous et toutes. Mais vous, vous préférez rentrer dans le conflit plutôt qu’accepter. Et je déteste me disputer avec vous. Ça me mine pendant des heures.

BD de Marc Dubuisson

Vous me faites du mal parce que lorsque je me plains d’un comportement anormal d’un homme envers moi, vous me dites : « oui, d’accord, mais c’est pas bien grave quand même »… Pourquoi seriez-vous plus légitime que moi à estimer ce que j’ai moi-même ressenti ?

Vous me faites du mal parce que vous choisissez la solidarité masculine. Pour être tranquilles. Avoir « la paix ». Mais moi je ne l’ai jamais la paix. Je ne peux pas la choisir la paix. La violence machiste est la première cause de mortalité des femmes de 16 à 44 ans dans le monde. En France, ce sont au moins 119 femmes qui ont été tuées par leur compagnon, ex-compagnon ou connaissance en 2016. La paix n’est pas une option pour moi. J’ai grandi avec cette notion depuis mon enfance. Choisir la solidarité masculine par défaut, même pour des choses apparemment insignifiantes, est le ciment de cette situation à force de répétition et de cécité volontaire.

Vous me faites du mal quand vous remettez en cause ne serait-ce qu’un seul point concernant l’avortement. Parce que jamais vous ne vivrez avec cette angoisse de tomber enceinte, jamais vous ne vivrez avec cette terreur des journées qui passent et vous rapprochent de l’illégalité, jamais vous ne vivrez avec la culpabilité institutionnelle qui même lorsque vous êtes très claire sur la question vous titille à un moment ou un autre, jamais vous ne saurez ce que c’est qu’être nue sur une table d’opération en claquant des dents et vous vidant de toutes les larmes de votre corps parce que vous avez beau être forte et féministe et pro-IVG d’aussi loin qu’il vous en souvienne, ben y a un gynéco qui vous a collé un monitoring sur le ventre quelques jours plus tôt, histoire de, quoi… Et qu’un autre vous a dit : « Madame on ne pratique pas ça ici ». Vous renvoyant à ce que l’on voudrait que vous ressentiez : la honte d’être une femme.

Jamais non plus vous n’aurez cette peur ignoble de n’avoir pas choisi la bonne clinique pour votre accouchement, de tomber sur une équipe médicale n’ayant pas révisé son chapitre sur le consentement médical, et d’être une fois de plus réduite à votre statut de « femme ». Je parle ici de l’utilisation abusive de l’épisiotomie, un acte chirurgical consistant à ouvrir le périnée au moment de l’accouchement afin faciliter le passage de l’enfant. Réalisé bien trop souvent, alors que les études récentes prouvent qu’elle fait plus de mal que de bien[1]. Et sans notre consentement car notre avis ne vaut rien. Seuls notre utérus et ce qu’il renferme valent quelque chose.

Certains professionnels de santé donnent aussi une valeur à notre vagin. Une valeur sexuelle bien sûr, et évidemment pas dans notre intérêt mais dans le vôtre : ils auront l’obligeance de recoudre l’épisiotomie plus qu’ils ne l’ont coupée, rendant le vagin plus serré. Pour le plus grand plaisir de monsieur et avec des conséquences souvent catastrophiques pour madame. Le point du mari n’est pas un mythe urbain ; des milliers de femmes ont témoigné en ce sens, ainsi que des professionnels de santé hommes et femmes. Des gestes non-consentis à l’absence de prise en compte de la douleur, de nombreuses violences obstétricales peuvent nous être imposées et avoir des conséquences graves pour nous.

Finalement, vous me faites du mal parce que vous m’en demandez plus qu’à aucun homme.

Je vous aime très fort. Je tente en permanence de ne pas vous blesser, d’être bienveillante, et lorsque je suis en désaccord avec vous, je prends toutes les précautions possibles pour que vous n’interprétiez pas mal mon propos, que vous ne vous sentiez pas agressés.

Mais certains jours je ne vous supporte plus.

Parce que je vis un numéro d’équilibriste permanent.

Entre l’amour que je vous porte et le respect que je me dois et que je dois à toutes les femmes.

Je ne vous demande rien. Que de m’écouter un tout petit peu, aujourd’hui, sans vous vexer, sans mal prendre, sans vous sentir mis en accusation.

Ce sera la meilleure preuve de votre amour, de votre affection, de votre amitié.


[1] Voir les enquêtes et communiqués de presse du Collectif interassociatif autour de la naissance (CIANE).

Ce texte vous fait réagir ? N’hésitez pas à en discuter autour de vous. Cela ne pourra que vous aider à mieux vous comprendre.

Si vous vous êtes reconnu dans ce texte : ce n’est pas grave. L’avoir entendu pourra peut-être vous aider à comprendre ce point de vue ; et si vous voulez aller plus loin, nous vous conseillons :

  • d’en parler avec des femmes de votre entourage.
  • si nécessaire, de vous excuser.
  • d’essayer de détecter ces situations.
  • d’éviter de les reproduire.